EVENEMENT

Semaine apocalyptique : Princesse Mononoke

 

 

(...) Grande fresque épique, Princesse Mononoké tient à la fois du récit picaresque, du conte initiatique et de la fable politique, Miyazaki alternant avec une réelle maestria narrative les séquences de batailles, les scènes de combats et les moments plus intimistes. Au fil du film, on se rend compte que, s'agissant du traitement des situations et des personnages, Miyazaki s'avère nettement moins manichéen que l'ami Disney (euphémisme) : le conflit central du film oppose les habitants de la forêt (genre d'écolos hardcore) au village des forgerons, qui ont besoin du bois et des arbres pour exercer leur activité. Le héros Ashikata, tel un personnage renoirien, prend alternativement parti pour l'un et l'autre camp, ayant le souci de protéger la forêt et de calmer les dieux mais comprenant aussi les intérêts vitaux des forgerons, dans une vision qui réconcilierait les hommes, la nature et le ciel. La patronne de ces derniers passe d'abord pour une garce autoritaire, une Milady fourbe et torve. Or, c'est plus compliqué : lady Eboshi se révèle être en fait un leader féministe et social avant l'heure, qui recueille et protège les lépreux, tout en exsudant un érotisme brûlant auquel Ashikata ne reste pas complètement insensible. Cependant, Ashikata qui a laissé dans son village son flirt d'enfance est également amoureux de Mononoké, la fille louve, et séduit involontairement l'épouse d'un des forgerons ! Un vrai sac de n'uds sentimental dont la complexité nous change avantageusement de Pocahontas.

Que ce soit sur le plan intime ou à l'échelle collective, Miyazaki met en jeu une mosaïque d'intérêts divergents où rien n'est jamais tout noir ou tout blanc, où chacun a ses raisons et où il n'est jamais simple pour le spectateur de prendre définitivement parti. Tout cet écheveau d'histoires et de situations est porté par une beauté graphique (poésie des couleurs, clarté du trait ­ seule l'animation, admettons-le, est moins fluide que chez les Américains) et une mise en scène dont l'ampleur n'a rien à envier au grand cinéma d'aventure : utilisation de toute l'échelle des plans, travellings et panoramiques majestueux, magnificence de la cité des forges perchée sur une haute montagne, meute de loups blancs striant la nuit, sortilèges multiples de la forêt, voluptueuses envolées de la musique de Joe Hisaishi... les raisons de vibrer ne manquent pas au cours du film. On peut dire que Princesse Mononoké est un grand spectacle à l'américaine : mais un spectacle infusé par les légendes et mythologies japonaises qui nous changent du politiquement correct yankee, un dessin animé porteur d'une complexité psychologique qui le situe plus près de Renoir ou de Mizoguchi que de Disney. (...)

Serge Kaganski & Vincent Ostria, lesinrocks.com